Loin des modes, les chansons de Clara Ysé ont la puissance des traditions. L’artiste s’est faite remarquer en 2019 avec le titre « Le monde s’est dédoublé », une envolée lyrique désuète qui emporte les foules dès le premier couplet. Son EP éponyme est venu confirmer son style singulier, une écriture poétique ancrée dans le réel et portée par une voix majestueuse. Aujourd’hui accompagnée de musiciens virtuoses, sa musique hybride, entre chanson française et musique du monde, s’étoffe, mais avant de pouvoir découvrir son album annoncé pour 2022, l’auteure publie un premier roman « Mise à feu » (le 18 août 2021), un conte moderne sur les désillusions. Nous avons eu l’occasion de la rencontrer juste avant son passage sur la grande scène des Francofolies de la Rochelle pour parler de musique et de littérature.

Tu as une formation classique mais tu écris des chansons françaises et espagnoles aujourd’hui agrémentées de musique du monde. Quelle était l’idée de départ pour ce premier EP « Le monde s’est dédoublé » paru en 2019 ?
Clara Ysé : « J’ai réalisé « Le monde s’est dédoublé » à un moment particulier. Je traversais un deuil. C’est un projet volontairement hybride et pensé pour la scène. A la base, j’ai une formation plutôt classique mais je voulais des sonorités un peu particulières, issues de la scène de la musique du monde qui m’a émerveillée. Le percussionniste de notre formation est iranien et le violoncelliste libanais, cela s’entend notamment sur scène. Nous l’avons enregistré presque dans les conditions du live, avec cette spontanéité et cette fragilité. Pour cet objet lié au deuil, je voulais une musique brute et assez peu polissée. Je suis très attirée par la musique grecque ou libanaise. Pour cet EP, je suis allée chercher par là, mais pour l’album qui sortira en 2022, j’ai trouvé un autre terrain de recherche. »

Ta formation sur scène a beaucoup évolué depuis ta première Boule Noire à Paris en 2019, tu laisses désormais une grande place et quelques solos à ton violoncelliste Sary Khalife.
Clara Ysé : « J’attache une grande importance aux cordes, surtout à celles de Sary Khalife. La première fois que je l’ai entendu, ça m’a renversé ! J’ai repensé les morceaux pour lui, avec sa sonorité, sa façon dont il joue du violoncelle. »
La chanson qui t’a fait connaître est « Le monde s’est dédoublé », une chanson presque désuète très inspirée des chants traditionnels mais qui souffle paradoxalement un vent de fraicheur sur la scène française. Elle est aussi très mystérieuse.
Clara Ysé : « Cette chanson parle de plein de choses. Moi-même, j’ai eu l’impression de la comprendre après coup, après l’avoir écrite. J’ai aussi reçu des messages très différents de personnes qui l’avaient comprise autrement. Du coup, je préfère ne pas lui donner un sens trop fermé. En tout cas, elle parle de moments d’intensité dans la vie où d’un coup, il y a une dissociation entre le monde réel et le monde émotionnel. Ce sont des moments très troublants. »
Mais c’est une chanson optimiste, pleine d’espoir ?
Clara Ysé : « Oui complètement. Elle dit que finalement, c’est peut être dans l’obscurité qu’on voit le plus la lumière. »
Tu chantes aussi en espagnol, d’où t’es venue cette idée ?
Clara Ysé : « Ma deuxième maman, ma maman de cœur, était colombienne. En grande partie, c’est elle qui m’a élevée, du coup nous parlions espagnol. Cette langue est très liée au cœur pour moi. Mais ça m’intéresse beaucoup de chanter dans plusieurs langues, car chacune ouvre des portes différentes à l’intérieur de soi. Cela me permet d’écrire et de composer différemment. Dans l’espagnol, il y a quelque chose d’assez brut qui me plait et me parle beaucoup. »
Tu chantes aussi en anglais, d’autres langues en perspective ?
Clara Ysé : « Plus jeune, je faisais des concerts de reprises grecques car je suis une grande fan de Rebetiko, la musique traditionnelle grecque. J’ai organisé pas mal de fêtes à Paris avec des amis grecques, c’est une langue que j’ai un peu explorée parce que c’est une musique qui me touche, comme le Fado. Les musiques traditionnelles m’émeuvent. Souvent, ces chansons ont traversé les années de manière orale parce qu’elles avaient une puissance assez folle. Chanter dans d’autres langues, je trouve ça très formateur. »

Tes textes sont très écrits, tu publies aussi ton premier roman « Mise à feu » le 18 août 2021. L’écriture a donc une place très importante, mais pour tes chansons, c’est les mots ou les notes qui te viennent en premier ?
Clara Ysé : « Souvent, c’est la musique qui vient en premier, même si l’inverse arrive aussi. La musique convoque une idée ou un état à partir duquel j’écris. C’est très différent de l’écriture romanesque ou poétique. »
Peux-tu nous parler de ton premier roman « Mise à feu » ?
Clara Ysé : « C’est un roman assez violent, mais le lecteur entre dans l’histoire via le point de vue des enfants et surtout de la narratrice, qui a 6 ans au début du livre et 15 ans à la fin, face à la violence qu’elle subit avec son frère. Ils s’inventent des mondes. Le roman est sur la tension entre une réalité, assez brute et violente, et le regard que les enfants portent dessus. Grâce au magico-réalisme, ils tentent de rendre leur univers habitable. »
C’est un roman sur les désillusions ?
Clara Ysé : « Ce qui m’intéressais en particulier pour ce livre, c’est la haute perception sensible du réel par les enfants. Je voulais explorer la relation entre frère et soeur. Les pactes secrets qui sont faits dans l’enfance peuvent devenir enfermants au moment où on devient adulte, alors qu’ils étaient voués à être libérateurs. Ce roman est basé sur cette tension de la trahison des pactes de l’enfance et la façon dont ils agissent sur le réel. »

Mise à feu, le premier roman de Clara Ysé