Francis, le blaireau indécrottable, fête ses 30 ans. Rencontre avec les auteurs Claire & Jake.

Méchant juste ce qu’il faut, Francis, le blaireau indécrottable imaginé par Claire & Jake il y a 30 ans, ne cesse de semer la zizanie dans la campagne. Avec une certaine nonchalance, il s’y promène mais à chaque courte scènette d’une page, patatras, tout part en vrille !

Dans cette série décapante et loufoque, le dessin presque mignon de Claire contraste avec le propos corrosif de Jake. Aujourd’hui, quelques mois après la sortie du dernier tome « Francis en vacances », le duo de choc investit l’espace rencontre de la galerie Huberty & Breyne, le temps d’une exposition mordante. Nous sommes allés à leur rencontre pour en savoir plus sur ce personnage peu séduisant mais héros d’histoires jouissives !

Claire & Jack ©B. Gaboriaud

Comment est né Francis avec les traits d’un blaireau ? Y a-t-il un rapport entre le choix de cet animal et l’insulte ?

Claire : « Nous nous sommes rencontrés à l’école, après le Bac, aux Arts Appliqués, à l’Ecole Estienne. A l’époque, je dessinais, notamment dans les marges de mes cahiers de cours, des pinups ou des petits animaux dans la lignée de Disney, très mignons et qui courraient dans la campagne. Jake était effaré de voir ça ! Il pensait que ce n’était pas possible de faire des êtres aussi mignons, il fallait leur filer le cancer. Je lui ai dit « Oui, quelle bonne idée ! Allons-y » (rires). Pour des raisons pratiques de photocopies liées à l’édition, nous voulions un personnage en noir et blanc qui ait la même force graphique que Mickey avec la même carrière (rire). Il y avait déjà Pépé le Pew. Le blaireau s’est alors imposé. »

Jake : « Mais ça n’avait aucun rapport avec l’insulte. A l’époque, c’était vraiment très peu usité. Bernard Hinault était surnommé le blaireau pour son esprit de compétitivité et son mauvais caractère, le sens était différent de celui d’aujourd’hui, mais la personnalité du blaireau, telle qu’on la connaît aujourd’hui, finit par déteindre sur le personnage. Francis est très impulsif et assez brutal, il change d’avis très vite. L’idée, c’est qu’il surprenne le lecteur à chaque vignette, il est donc forcément imprévisible. Avec les années, je ne crois pas qu’il s’assagisse. Il n’a pas de surmoi, pour reprendre un terme psychanalytique. Il écoute assez peu la voix de la sagesse. Il agit. »

Francis en vacances de Claire & Jake ©Editions Cornélius

Chaque histoire commence par la même case : « Francis se promène dans la campagne ». Il y a des légères différences dans le dessin entre chaque scénette mais pourquoi la refaites-vous à chaque fois ?

Claire : « Pour cette série, je ne fais pas de crayonné, je dessine directement au feutre. Cette case est un peu comme un sas d’ouverture. Je place les proportions et le trait. Ça me met dans l’ambiance. »

Francis en vacances de Claire & Jake ©Editions Cornélius

Francis est souvent un blaireau indécrottable mais parfois on se reconnaît presque en lui. D’où vous vient l’inspiration ?

Jake : « Les choses de la vie ! Les préoccupations que nous avions à l’époque de sa naissance ont changé. Francis vieillit avec nous. Dès le tome 2, on parle de la mort, ensuite de l’amour… Je suis accros à l’actualité, donc j’y intègre des préoccupations de l’époque même si « Francis » n’est pas une BD d’actualité. Par exemple, depuis deux albums, les enfants de Francis partent régulièrement faire le djihad, c’est une préoccupation relativement nouvelle. Les parents ne pouvaient pas avoir cette peur il y a 20 ans. Idem pour le réchauffement climatique. Dans « Francis en vacances », nous avons intégré la pandémie car c’est un évènement historique. Ce qui est assez drôle, c’est que nous avions déjà dans le passé imaginé des scénarios avec des virus et des pandémies mondiales. Francis était presque prophétique (rires). On parle aussi du mouvement metoo. On remet en question la façon masculine de séduire. Francis me sert de contre modèle. Quand il drague, il est assez lourd et à la fin de l’histoire, il est lui-même victime de ce comportement. »

Il y a dans cette série plusieurs personnages hauts en couleur. Claire, as-tu un choucou ? 

Claire : « Des chouchous ? C’est difficile ! Tous les personnages qu’on croise dans la série ont un caractère bien défini. J’aime beaucoup madame Francis. j’ai beaucoup d’affection pour elle. sa vie n’est vraiment pas facile (rires). Je n’aime pas trop dessiner le voisin qui est un cochon et pourtant il a plein d’intérêt, c’est pourquoi il intervient souvent. »

Francis en vacances de Claire & Jake ©Editions Cornélius

La série est gentiment méchante, mais méchante quand même ! Vous fixez-vous des limites ou refusez-vous de sombrer dans un humour édulcoré ?

Jake : « Je me suis parfois posé des questions sur la forme d’humour que j’utilise. Il y a une part de provocation mais surtout, j’essaie de faire en sorte qu’on ne puisse pas cataloguer Francis. Il y a des sujets que je n’aborde pas car je ne me sens pas assez outillé pour le faire. Dans « Francis est malade », il a souvent le cancer. Il y a un gag visuel quand ses métastases reviennent. Après coup, je me suis demandé si ce n’était pas de mauvais goût car il y a des gens qui ont vraiment des métastases. Parfois, le désir de faire un gag est plus fort que l’éventuelle gêne qu’on peut avoir. Nous n’avons pas de tabous, il faut juste trouver le bon moment. »

Claire & Jake – Francis s’expose ! Jusqu’au 18 septembre 2021 à la galerie Huberty & Breyne, Paris
Francis en vacances de Claires & Jakes – 48 pages – 8,50 euros – Editions Cornélius