La Piscine de Roubaix, toute une histoire passionnante racontée par Bruno Gaudichon, le conservateur


Haut-lieu culturel du nord de la France, La Piscine – Musée d’art et d’industrie André Diligent de Roubaix abrite une collection d’œuvres d’art prestigieuse allant de Picasso à Camille Claudel en passant par Tamara de Lempicka et Léonard Foujita. Elle est composée de sculptures, de céramiques, de dessins, de peintures et aussi, de par son histoire, de textiles. Mais comme son nom l’indique, avant d’être un musée, La Piscine, dont il reste de beaux éléments de son passé, était bel et bien un bassin public conçu principalement pour la classe ouvrière afin de lutter contre la tuberculose. 

La Piscine – Collection permanente © Benoit Gaboriaud

Nous y avons rencontré Bruno Gaudichon, Conservateur de La Piscine, qui a bien voulu nous raconter la grande histoire de cette fameuse piscine qui était bien plus que cela.

La Piscine – Collection permanente © Benoit Gaboriaud

Qui est à l’origine de ce projet ?

Bruno Gaudichon, Conservateur de La Piscine : « La Piscine de Roubaix, aussi appelée La Piscine des Champs car on y accédait par la rue des Champs, a été construite entre 1927 et 1932 à la demande de Jean-Baptiste Lebas, le maire de Roubaix, et par l’architecte lillois Albert Baert. Auparavant, ce dernier avait construit deux autres piscines : les bains lillois, boulevard de la Liberté au début des années 1890, et les bains dunkerquois à cheval sur le 19e et le 20e siècle. Proche d’une bourgeoisie industrielle progressiste, Albert Baert est à ce moment là en fin de carrière et veut réaliser le grand œuvre de sa vie. Il répond à l’air du temps avec cette architecture purement Art déco et notamment cette mosaïque en forme de vague qui entoure le bassin, alors qu’il avait été formé à l’architecture éclectique de la fin du 19e. Les vagues, on en retrouve dans plusieurs endroits comme des motifs maçonniques d’inspiration égyptienne. Le bâtiment est construit sur les plans d’une abbaye cistercienne avec un jardin central et des bâtiments autour, le bassin correspondant à l’église. Une abbaye chrétienne doit regarder vers Jérusalem et la lumière doit pouvoir la traverser. Pour simuler ce passage de la lumière d’Est en Ouest, Albert Baert crée deux grandes verrières qui donnent l’impression que le soleil est à un bout du bâtiment. Pour parfaire cette illusion, un grand soleil est représenté sur une verrière. »

La Piscine – Collection permanente © Benoit Gaboriaud

A la base, cette piscine avait été construite pour lutter contre la tuberculose, c’est bien cela ?

Bruno Gaudichon, Conservateur de La Piscine : « On peut rappeler que Jean-Baptise Lebas a mis fin en 1912 à une occupation de la mairie de Roubaix par les grands patrons de l’industrie du textile. Il y avait avant cela une confusion entre le pouvoir politique et le pouvoir économique représenté souvent par des Belges qui n’avaient donc pas le droit de vote. Quand il gagne les élections en 1912 en tant que socialiste, il met en place un programme qui apporte une réponse forte aux demandes de la population. La première guerre mondiale arrive très vite après son élection. Il est envoyé en captivité en Allemagne. Quand il revient, la tuberculose frappe Roubaix et fait des ravages terribles chez les enfants. Il crée alors, à la campagne, l’Ecole de plein air pour que les enfants puissent y respirer un air meilleur qu’à la ville. Une fois cette école construite, il s’attaque à cette piscine pour lutter toujours contre la tuberculose, en y installant des salles de bain. » 

Jean-Baptiste Lebas, mort en déportation au camp de Sonnenburg en 1944, voulait vraiment proposer un grand projet pour la classe ouvrière.

Bruno Gaudichon, Conservateur de La Piscine : « Oui ! Le bassin fait 50 mètres ce qui est très rare pour l’époque. A Lille, ils devront attendre les années 50 pour avoir un bassin de cette ampleur. A l’ouverture en 1932, le projet fait l’unanimité et correspond bien à l’éthique politique de Jean-Baptiste Lebas, soit les idées du Front Populaire. En tant que ministre du travail de juin 1936 à juin 1937, il instaure les congés payés et la semaine des 40 heures, et donc le droit aux loisirs. »

La Piscine – Collection permanente © Benoit Gaboriaud

Comment fonctionnait cette piscine ? C’était bien plus qu’une simple piscine d’ailleurs ?

Bruno Gaudichon, Conservateur de La Piscine : « Il y avait une cabine de déshabillage puis une cabine de douche dont vous gardiez l’usage pendant tout le temps de votre présence dans le bassin. Après le départ de chaque personne, un cabinier passait pour désinfecter. Il y avait aussi des bains de vapeur. Au premier étage, les cabines étaient réservées aux enfants des écoles mais n’avaient pas de douche. Il y avait une grande douche commune. La ville a été la première à rendre la natation obligatoire pour le jeune public. Le deuxième étage, qui n’existe plus en l’état, était réservé aux visiteurs et aux spectateurs quand il y avait des compétitions ou des ballets nautiques.

Au-delà de la piscine et du grand bassin, il y avait des salles de bain homme, femme ou familiale. Généralement, le père se baignait avec les garçons et la mère avec les filles ! L’établissement comprenait aussi des bains médicaux pour les maladies de peau, des salons de coiffure ou de manucure. Il y avait cette volonté d’offrir à la population ouvrière le lieu le plus beau et propre possible. Au sous-sol, se trouvait une laverie industrielle. Le linge était traité pendant que les gens se baignaient. Cette piscine était proche dans la philosophie des bains antiques. Les lieux étaient vraiment très fréquentés et appréciés. Elle était pour la classe ouvrière une échappatoire à la morosité de la vie à la ville et à l’usine. »

La Piscine – Collection permanente © Benoit Gaboriaud

Comment la piscine est-elle devenue un musée ?

Bruno Gaudichon, Conservateur de La Piscine : « La piscine fonctionne jusqu’en novembre 1985. L’entreprise qui est chargée de la maintenance prévient la ville que le bâtiment est en train de s’effondrer et décline toute responsabilité, cela contraint André Diligent, le maire de l’époque, de fermer l’établissement du jour au lendemain. Une autre piscine sera construite plus loin. Conscient de l’attachement des roubaisiens pour cette piscine, le maire réfléchit à comment transformer les lieux. Il y a eu des projets de boîtes de nuit, de résidences universitaires… Finalement en 1989, se pose aussi la question de comment rouvrir les musées de la ville. Au début des années 90, les deux idées ne font plus qu’une. La piscine sera un musée. Jean-Paul Philippon, un des architectes du musée d’Orsay, est chargé de la transformation. Les travaux commencent en janvier 1998 pour une ouverture en octobre 2001. De 2016 à 2018, le musée est agrandi ! L’idée d’André Diligent était de changer l’affectation mais surtout de permettre aux roubaisiens de retrouver la piscine de leurs souvenirs. »

La Piscine – Collection permanente © Benoit Gaboriaud

La salle du grand bassin a été particulièrement bien conservée, qu’est-ce qu’on peut y trouver aujourd’hui ?

Bruno Gaudichon, Conservateur de La Piscine : «  L’idée était de faire comme une sorte de jardin de sculptures dans le cœur du bassin mais aussi de garder la mémoire de l’eau avec une fontaine et ce bassin actuel, réduit. L’arche de Sandier a pris, de par son ampleur, naturellement sa place dans cette salle. Certains roubaisiens ont même le souvenir qu’il était déjà là à l’époque, ce qui n’était pas le cas. Le musée de textile a aussi pris sa place dans cette salle. C’est la collection la plus roubaisienne, car le premier musée de la ville était consacré au textile. »

La Piscine – Collection permanente © Benoit Gaboriaud

Pour plus d’informations sur La Piscine et ses expositions temporaires : www.roubaix-lapiscine.com

Ci-dessous, découvrez notre balade photographique à La Piscine, bonne visite !