Artiste queer alternatif hors du temps, Sébastien Delage dévoile Rien compris, un premier album impudique mais poignant. L’artiste parisien a pourtant compris qu’il devait créer son propre label pour jouir d’une totale liberté artistique et composer ce recueil de chansons rocks. Preuve d’une grande authenticité, elles sont, pour certaines, tatouées sur son corps, véritable livre ouvert !

Pour parler de Rien compris, Sébastien Delage nous a reçus justement chez lui, lors d’une séance d’auto-tatouage.
Après la rupture du groupe Hollydays, formé avec Elise Preys, tu as décidé de créer ton propre label Drama Queen Music, pourquoi ?
Sébastien Delage : « Et bien ! Bienvenu au label, chez moi, dans mon studio d’enregistrement qui est aussi mon salon de tatouage. Ça reste très artisanal ! Dans la major où j’étais avant, on m’a conseillé de ne pas dire que j’étais gay en interview. Je ne voulais plus être confronté à ce genre de remarque, j’ai alors décidé de fonder Drama Queen Music pour sortir mon disque. Dans une major, c’est difficile de s’épanouir en tant qu’artiste. Tout le monde veut donner son avis sur ton projet et le calibrer pour les radios. Le processus créatif est mis en second plan. Drama Queen Music est un label associatif qui vise à soutenir uniquement des artistes queers ou issus de minorités. Je viens de signer mon tout premier, Jasmin Sauvage. Le monde n’est pas prêt pour ses chansons [rires]. L’univers du label ne m’était pas inconnu. J’ai commencé à bosser dans la musique pour le label Pop Noire, dans lequel sont Lescop et Johnny Hostile. J’ai aussi fait partie du management de Tinariwen, un groupe de musique touareg qui a reçu en 2012 le Prix du meilleur album dans la catégorie Musiques du monde aux Grammy Awards pour l’album Tassili ».

Certaines de tes chansons sont tatouées sur ton corps, d’où te vient cette passion pour le tatouage ?
Sébastien Delage : « J’ai toujours aimé le tatouage, ce sont des marqueurs de vie. Au départ, pas pour les bonnes raisons ! Je trouvais ça rebelle. Aujourd’hui, c’est presque l’inverse. C’est le fait de ne pas en avoir qui est presque rebelle. Le tatouage est pour moi une catharsis. Je me tatoue quand je traverse des événements importants. Mes tatouages ont tous un sens, même si parfois ça à l’air d’une connerie. »
Tu t’es tatoué sur le bras le Pic du Midi d’Ossau, l’emblème du Béarn, à qui tu dédies le titre « L’Ossau », mais cette chanson parle davantage de tes souvenirs d’enfance passés à ses pieds en compagnie de ta grand-mère.
Sébastien Delage : « Rien compris est un album personnel, thérapeutique. En thérapie, on aborde forcément l’enfance. Sans faire dans le misérabilisme, je n’ai pas beaucoup de souvenirs d’enfance heureux, hormis les moments privilégiés passés chez ma grand-mère de cœur, à côté de Pau, pas loin du Pic du Midi d’Ossau. J’ai passé beaucoup de temps dans la vallée d’Ossau à marcher, à faire de la luge, à dormir dans des refuges, à faire du canyoning. Ces moments avec ma grand-mère étaient comme des bulles de bonheur dans mon existence. »

Ton album est effectivement très personnel, tu parles avec humour de ta bipolarité dans Dale Cooper, une chanson écrite par Clément Grelot, auteur également de ton tout premier single Les Garçons de l’été. Les autres chansons, tu les as signées toi-même pour former ce portrait d’un trentenaire actuel. Comment s’est passé ce processus d’écriture impudique ?
Sébastien Delage : « J’ai toujours aimé composer, écrire beaucoup moins. Pour y prendre du plaisir, j’ai dû faire tomber la censure et me livrer. Ainsi, ça a été beaucoup plus facile pour moi. J’ai écrit toutes les chansons dans mon coin, sans regard extérieur. Mon entourage les a découvertes une fois terminées. Ça s’est bien passé [rires]. »
Dans Polyamoureux Transi, tu parles d’un sujet très à la mode. N’as-tu pas l’impression qu’il s’agit finalement d’un sujet intemporel sur lequel on vient juste de mettre un nom ?
Sébastien Delage « Exactement ! Ça existe depuis toujours. On est dans une société hétéronormée, accès sur des relations monoconjugales qui ne conviennent pas à tout le monde. Le désir pour l’autre ne s’arrête pas à partir du moment où on se met en couple. Pendant longtemps, les relations que j’avais me rendaient très malheureux. Ce n’était pas forcément la faute des autres mais plutôt la mienne. Je me voilais la face. Ce genre de relation « exclusive » ne me convenait pas. Aujourd’hui, je m’épanouis totalement dans le polyamour. »

La chanson Rien compris, qui a donné son nom à l’album, résume-t-elle l’état d’esprit « de confusion et de doute » dans lequel tu te trouvais au moment de l’écriture ?
Sébastien Delage : « Quand j’ai terminé l’album, je savais que Rien compris serait le titre d’ouverture et qu’il donnerait son nom à l’album. J’ai écrit cet album au moment où j’ai été diagnostiqué bipolaire. Avant d’aller chez ma psy ou en en sortant, j’écrivais mon ressentiment dans une note que j’avais intitulé J’ai compris. Je me suis dit que ce serait bien de retravailler ces notes pour en faire une chanson. Finalement, au début, je les lis telles quelles ! J’ai écrit le reste en dix minutes ».

Loin des tendances mainstreams, ton album sonne très rock Lo-fi, ce qui lui donne une dimension intemporelle, c’était voulu ?
Sébastien Delage : « Ça ne m’intéresse pas de faire de la musique à la mode. J’ai toujours été sensible aux sonorités rocks, aux fondamentaux guitare-basse-batterie. Les journalistes ou producteurs, à qui j’ai parlé de mon idée de me lancer dans cette voie, ont voulu m’en dissuader. Ils pensaient que ça ne marcherait pas, mais finalement la scène rock revient. J’ai commencé à écouter la musique assez tard, en sortant du lycée. Comme tous les gens emo dépressifs, j’adorais Radiohead. En jouant de la guitare, j’ai compris ce qu’ils faisaient, j’ai eu le déclic. Je venais d’ouvrir la boîte de Pandore. Quand on a fondé Hollydays avec Elise Preys, on s’est orienté vers l’électro, le style qui nous réunissait, mais dès que j’ai eu l’idée de réaliser mon album solo, j’ai eu envie de revenir aux sonorités rocks, à ce que j’aime. En ce moment, j’écoute Angels Olsen, Weyes Blood, Big Thief, Fontaines D.C., le meilleur groupe rock de ces dernières années, mais aussi des artistes plus anciens comme Daniel Johnston, j’aime cette immédiateté hors des modes. Je ne voulais surtout pas que mon disque sonne « 2022 ». »

Rien compris, le premier album de Sébastien Delage
La séance d’auto-tatouage, à découvrir ci-dessous !








