Portée par un surréalisme nourri de ses rêves, Fishbach sublime le réel. « Avec les yeux », titre de son second album, l’artiste crée un univers harmonieux et foisonnant pourtant constitué de références divergentes. Juste avant son concert au 106 à Rouen, nous avons eu l’occasion de la rencontrer, sans interprète et parfaitement chaussée, le temps d’échanger quelques idées sur Scorpions, Bonnie Tyler, Michel Audiard, la musique de bagnole ou encore la techno.

Ton nouvel album s’intitule « Avec les yeux », cela évoque ces dernières années où nous étions masqués mais ce n’est pas la raison principale ?
Fishbach : « Les yeux, le regard, c’est la seule chose qui nous restait à ce moment-là. Le regard, c’est aussi quelque chose que je partage avec les gens quand je suis sur scène. C’est dans leur regard que je vois ce qu’il se passe. Un jour, un fan m’a écrit sur Instagram pour me dire que je chantais avec les yeux. J’ai trouvé ça tellement beau et fort ! Ça a été une révélation ! »
Tes textes sont empreints de surréalisme à l’image de cette phrase « Je n’ai pas besoin d’interprète, j’ai des chaussures » extraite de la chanson « Téléportation ». Comment ces mots te viennent-ils ?
Fishbach : « Je coécris depuis des années avec Olivier Vallois. Il saisit parfois des choses que j’ai dites au hasard et il leur donne un sens délirant. C’est un peu le cas pour cette phrase. D’autres fois, je lui soumets des idées qui me viennent de mes rêves. J’ai vraiment une deuxième vie dans mes rêves. J’y attache une grande importance. Je les note. Je les cultive. J’ai des rêves récurrents, parfois flippants, mais j’ai envie d’y retourner. »
J’ai l’impression que vous (toi et Olivier) attachez une grande importance au choix des mots qui « détonnent ». Quels sont ceux qui t’inspirent ?
Fishbach : « Moi, j’aime beaucoup cavalcade et enguirlander mais je déteste biscuit. Ce mot me dégoûte, je ne le placerai jamais. Il y a des mots qui sonnent bien, à mon goût. Gabardine, j’adore ! »
Tes textes sont un mixe de mots contemporains et désuets, cette démarche m’évoque les peintures de Jean Claracq dans lesquels on voit des jeunes hommes avec leur tablette ou téléphone portable au milieu de références moyenâgeuses, un peu comme dans ton clip « Presque beau ».
Fishbach : « Je suis fan des dialogues de Michel Audiard. Il faisait se rencontrer l’argot de la rue et des mots très soutenus sur un ton grandiloquent. Cela correspond bien à mon ambition musicale qui est de partir de trucs très populaires puis de couper les refrains et les emmener vers un lyrisme qui « pète plus haut que son cul ». Ça m’a toujours beaucoup touché les gens qui confrontent deux mondes opposés et qui montrent qu’ils ne sont pas du tout incompatibles. »
Te sens-tu proche aussi du surréalisme ou de l’expressionnisme auxquels ton clip « Masque d’Or » fait référence ?
Fishbach : « Oui. J’ai eu un coup de cœur pour un peintre canadien contemporain, Robert Vanderhorst, dans le style un peu de Magritte mais plus ésotérique. La pochette de mon premier EP est un détail d’un de ses tableaux. On y voit un homme dans une mare et un poisson volant dans les airs. Après, je ne connais pas tout. En ce moment, j’écoute beaucoup de musique et particulièrement de techno. J’ai fait du DJing. J’aime vraiment les ambiances club, quand les gens sont en transe sur des morceaux interminables et s’évadent un samedi soir en province. »
Cela voudrait-il dire qu’on aura un jour un album techno de Fishbach ?
Fishbach : « Complètement, je ne veux rien m’interdire et j’ai l’impression d’avoir ouvert pas mal de portes avec ce disque, notamment avec des solos de guitare. J’ai passé mon permis de conduire pour écouter de la « musique de bagnole ». A ce moment-là, j’écoutais Vangelis et Supertramp à fond la caisse. Mais oui, il est très probable que je mette de la techno un jour dans ma musique. »

Dans cet album, on retrouve quelques influences curieuses comme celles de Scorpions et Bonnie Tyler, tu assumes totalement j’imagine ?
Fishbach : « Alors en fait, je ne regarde pas ces artistes avec du second degré. Les solos de guitare, ça me déchire vraiment. Je trouve ça magnifique comme ces mecs qui montaient dans les aigus et de manière apparemment très puissante. Dans la chanson française, on n’envisage pas assez la voix comme un instrument à part entière. Les Anglo-Saxons, ils ont ce truc là. Je ne trouve pas ça ringard. Certes, je me rappelle du quart d’heure américain dans des boîtes en province, notamment dans les Ardennes, où on passait cette musique, mais c’était génial ! Un solo de guitare électrique est pour moi ce qui se rapproche le plus de la voix humaine, dans le côté criard et sanguinolent. »
Sur le titre « Tu es en vie », on sent particulièrement la présence de Bonnie Tyler, c’est une artiste que tu as écoutée ?
Fishbach : « Je ne l’écoutais pas ? Je l’ai écoutée récemment parce que j’étais avec quelqu’un qui en était fan et qui l’aimait vraiment au premier degré. Je n’étais pas hyper convaincue. J’avais en mémoire sa reprise de « Turn Around » avec Kareen Antonn. C’était pas ouf ! Et en même temps, j’avais oublié sa discographie. Mais cette voix rauque est dingue. C’est l’Amérique de Johnny Hallyday, l’Amérique des Français ! »
Tu as joué dans la série « Vernon Subutex » adaptée du roman de Virginie Despentes et diffusée en 2019. Es-tu prête à renouveler l’expérience ?
Fishbach : « Oui, j’ai joué dans deux courts métrages l’année dernière. C’était super cool même si c’est un métier difficile. C’était motivant de se mettre au service d’un projet qui n’est pas le sien et de s’abandonner à la vision de quelqu’un. Comme les gens de ma génération, j’aime toucher à tout et apprendre de nouvelles choses. Je serais ravie de recommencer si le projet est aussi excitant. Pour l’adaptation du texte de Virginie Despentes, je ne pouvais pas dire non. Le projet était beaucoup trop excitant, avec un casting de dingue ! »
Fishbach est actuellement en tournée en Europe et au Canada puis sera à l’Olympia le 30 novembre 2022.

Avec les yeux, le second album de Fishbach