De Clara Luciani en cow-girl à Marie Flore en héroïne hitchcockienne, Marie Frange revient pour nous sur ses clichés les plus décoiffants.

Attention les cheveux ! A l’occasion du festival Les Emancipées qui se déroule à Vannes, Marie Frange nous ouvre les portes de son exposition « Cheveu être moi » et de son univers empreint de pop art, de punk fun et de films d’horreur. Le visiteur y croise Clara Luciani en cow-girl, Marie Flore en héroïne hitchcockienne, Cléa Vincent en Joker ou Régina Demina sur La Croix, autant de mises en scènes drôles et libres sorties de l’imaginaire de Florence Tredez, alias Marie Frange.

Marie Flore par Marie Frange © Marie Frange

Quel est le concept de Marie Frange ?

Florence Tredez alias Marie Frange :  « C’est un concept à la fois bricolo, DIY, mais extrêmement ambitieux. J’ai voulu détourner le concept de « marque » et de « start up » propre à l’époque qui m’exaspère pour l’appliquer à un concept artistique, purement gratuit et évènementiel. Marie Frange, c’est un monde. C’est à la fois des photos, du théâtre immersif, un site, un magazine, des soirées à thème comme « L’élection Miss Frange » que nous avons organisée en 2018 au club Le Pardon rue Oberkampf ou « Les Marie Frange Awards » que nous allons organiser en octobre à Paris, mais c’est aussi (bientôt ) une secte et un lifestyle. Marie Frange est ouvert à toutes sortes de gens généreux, ouverts d’esprit, inclusifs, féministes, rigolos, pacifistes, et qui aiment les costumes, le rose et les perruques. Le véhicule principal de Marie Frange est le cheveu. Pourquoi ? parce que depuis l’Antiquité, et les sociétés les plus primitives, la chevelure a toujours été un objet qu’on a regardé avec vénération, auquel on a attribué des pouvoirs sacrés. Marie Frange travaille sur un matériau, le cheveu, qui fait sens dans toutes les sociétés quelles qu’elles soient. Pour moi, le cheveu, c’est la liberté, depuis que j’ai compris, très concrètement, quand j’avais quatre ans, en lisant « Raiponce », mon conte de fées préféré, que toute personne prisonnière dotée de longs cheveux pouvait se tirer vite fait de sa prison grâce à son système capillaire. Je conseille à tout le monde de se laisser pousser les cheveux: on ne sait jamais. » 

Clara Luciani par Marie Frange © Marie Frange

Les Oiseaux, Joker, Shining… il y a pas mal de références dans tes photos aux thrillers, c’est ton genre de cinéma, ta source d’inspiration ? Et sinon, où la trouves-tu ?

Florence Tredez alias Marie Frange :  « Mon inspiration me vient d’abord de la personne que je vais photographier. Elle m’inspire ou elle ne m’inspire pas. Si elle m’inspire, alors ce sera pour ce qu’elle m’évoque au-delà de son image sociale habituelle. Je crois que nous avons plusieurs identités, et je m’intéresse à l’identité, la vibration, la plus intime – qui est évidemment subjective, je ne prétends pas « percer à jour » mes modèles -, en tout cas celle que m’évoque la personne en face de moi. Par exemple, je ne me dis pas « je vais faire une photo de Jésus en femme sur La Croix », je réfléchis pendant un long mois à ce que m’évoque Regina Demina qui a posé pour cette photo, et ce que je perçois d’elle, à tort ou à raison, c’est sa souffrance, sa générosité d’artiste aussi, elle me touche car je l’imagine crucifiée sur l’autel de l’art pour racheter tous les péchés d’un monde cruel. Pour Clara Luciani, que j’ai photographiée chez moi un après-midi alors qu’elle n’était pas encore connue, en 2018, j’ai perçu chez elle un côté guerrier ou pirate: sans doute sa grande ambition. Pour Clara Ysé, il était évident que j’allais lui demander de poser en Jeanne d’arc, car elle a un visage très pur, quelque chose, là aussi, de guerrier, de noble, de sans concessions. J’ai voulu faire poser Inna Modja en robe blanche très Marylin, très Hollywood, mais dans une coquille Saint Jacques gonflable géante, pour évoquer « La Naissance de Vénus » de Botticelli. J’ai été guidée par sa douceur, sa beauté, sa lumière, comme si elle était cette Vénus. Dans la photo de Bilal Hassani, il y a un côté plus pop art: la multiplication des têtes avec perruques évoquent l’idée du produit dupliqué à l’infini, comme les boîtes de soupe Campbell. Ça dit quelque chose aussi de la gloire, de « La Fama » comme dirait Rosalía, ce quart d’heure warholien qui symbolise bien l’époque. Après, j’ai effectivement beaucoup de références aux films d’horreur, que j’adore, à Kubrick, Hitchcock, Tim Burton. J’ai une culture assez basique, populaire, instinctive: je suis fidèle aux films de mon enfance, de mon adolescence, aux images qui m’ont marquée. Quand j’aime un film, je le revois des dizaines de fois. Une personne m’a fait remarquer que sur la photo avec Jésus, Regina Demina ressemblait à la Cicciolina qu’on avait figurée ainsi pour un magazine du temps de sa gloire. Je n’y avais pas pensé, mais je me souviens que j’adorais la Cicciolina, et j’ai sans doute reproduit inconsciemment cette couverture que j’avais peut-être vue à l’époque. Bref, je n’essaie pas d’avoir des références ultra pointues, ce n’est pas mon style. Dans Marie Frange, ce qui est important, c’est d’abord de suivre son instinct, de se faire plaisir. Je suis journaliste par ailleurs et même si j’adore écrire et faire ce métier, je suis évidemment toujours soumise à des contraintes. Avec Marie Frange, c’est l’exact contraire. Je suis mon plaisir, même s’il est vain, ou si la photo est ratée, ou pas très aboutie, ou si la perruque est un peu de travers: l’idée est d’être seule maîtresse à bord, de faire exactement ce que je veux sans me préoccuper des remarques des uns ou des autres. J’enjoins tout le monde à faire la même chose, il n’y a rien de plus jouissif au monde. Marie Frange, c’est faire ce qu’on a envie de faire sur l’instant, même si c’est avec les moyens du bord, et que la photo aurait pu être plus léchée, plus ceci, plus cela. On s’en fout, Marie Frange, c’est l’esprit punk: on fait, on réfléchit après. Parfois, je suis mortifiée par une photo, je la trouve ratée, nulle. Tant pis, en général, je la poste. Parfois, elle deviendra ma préférée car au final, c’est son côté déglingué mais poétique qui fera qu’elle est touchante. Et puis, je suis toujours touchée par la générosité des artistes qui acceptent de jouer avec moi. » 

Régina Demina par Marie Frange © Marie Frange

Comment travailles-tu ? Tu inventes tes images à partir des objets que tu trouves ou as-tu une idée très précise dès le départ et tu te casses la tête pour trouver des accessoires ?

Florence Tredez alias Marie Frange : « J’étudie mentalement la personne que je veux photographier pendant un certain temps. Ça peut prendre plusieurs semaines ou un jour, je ne suis pas pressée. Rien ne m’oblige à faire cette photo, sinon le plaisir de la faire. Je le répète, je n’ai aucune contrainte d’aucune sorte, si ce n’est financières: je paye moi-même les heures de studio, la maquilleuse, les costumes, les accessoires, c’est un vrai investissement, mais ça en vaut la peine. Quand j’ai trouvé mon idée, je la dessine, et je l’envoie par mail ou par texto à l’artiste que je veux photographier. En général, ils sont contents et acceptent (sauf une ou deux exceptions). Là, je passe un long mois jouissif à choisir les costumes sur Internet (j’ai une collection d’une soixantaine de costumes, des accessoires dans tous les sens chez moi), à chiner les accessoires aux Puces, sur Ebay, dans des magasins professionnels. Pour La croix de Jésus, mon copain qui est architecte m’a emmenée dans un Leroy Merlin à Créteil pour acheter deux poutres en polystyrène qu’il a assemblées avec un système habile de chevilles et de vis pour confectionner une croix amovible. Après j’ai booké Regina pour une séance en studio, j’avais convié aussi les drag queens Rose et Punani pour jouer Marie et Marie-Madeleine au pied de La Croix, j’ai acheté au dernier moment une culotte blanche, et une petite serviette en éponge blanche au Monoprix près de chez moi pour figurer le linge de Jésus que je n’avais pas trouvé. La couronne d’épines en plastique, je l’ai trouvée sur Etsy, via une artisane Lituanienne qui les fabrique et qui m’a envoyé un petit mot très gentil pour me remercier de l’avoir achetée. Pour la photo d’Emma Solal en artiste de cirque qui dompte les perruques, j’ai déniché un magasin d’objets professionnels de cirque dans le dix-huitième arrondissement. Je regarde aussi toujours dans la rue, car on peut trouver plein d’objets bizarres qui peuvent être inspirants. J’ai ainsi trouvé dans une poubelle une batte de baseball qui me servira peut-être un jour pour une photo. J’avais aussi adoré acheter un fusil aux puces à une dame très kitsch qui avait toutes sortes d’armes et de couteaux dans son stand. Chercher des accessoires est aussi une aventure que dessiner la photo, réfléchir aux costumes ou acheter des perruques. Oui, j’avoue, j’ai acheté beaucoup beaucoup de perruques de toutes les couleurs dans le dixième arrondissement. La chanteuse anglaise Ala.ni m’a demandé de lui trouver une perruque d’homme pour son clip « Le diplomate », on est allé la choisir toutes les deux vers Château d’Eau. »

Pomme par Marie Frange © Marie Frange

As-tu une anecdote sur un shooting ou sur un objet que tu as déniché ?

Florence Tredez alias Marie Frange :  « Chaque shooting est très agréable et drôle. L’artiste vient avec (ou sans) son attaché de presse, son maquilleur parfois. Il adore enfiler le costume, se découvrir  dedans, se faire maquiller, faire des vidéos, prendre la pose. Pour l’anecdote, j’ai photographié le rappeur Vegedream chez moi avec un joint à la main et un sèche-cheveux d’où sortaient des flammes mais il n’a finalement pas voulu que je poste la photo sur Instagram car il ne voulait pas que sa maman croit qu’il fume des joints, j’ai shooté Clara Luciani à genoux chez moi sur le fond rose car elle est très grande et je n’avais pas assez de recul pour la photographier en pied, et Léonie Pernet, que j’ai photographiée en Edward aux mains d’argent avec de grandes ailes dans le dos, est sortie dans la rue et a commencé à chanter de l’opéra ainsi vêtue devant les passants. C’était délicieux. » 

Cléa Vincent par Marie Frange © Marie Frange

Quel est pour toi l’artiste assurément « Marie Frange » que tu aimerais photographier et dans quelle mise en scène ?

Florence Tredez alias Marie Frange :  « Alors j’ai deux artistes qui m’ont donné leur accord, il faut simplement qu’ils trouvent un peu de temps à me consacrer et ils sont très occupés: ce sont Juliette Armanet et Philippe Katerine. J’ai déjà les deux idées de photos mais je préfère conserver la surprise si ça ne vous ennuie pas. Sinon, la définition d’un artiste Marie Frange, c’est d’abord qu’il accepte de se prêter au jeu et que j’ai envie de le photographier donc c’est difficile de dire lesquels précisément. Et, il y a aussi beaucoup de gens pas célèbres qui sont très Marie Frange, comme mon boucher, que j’ai photographié, mes filles, mon ex baby sitter, ou mon ami Jean-Philippe Aline, patron du label Beggars, qui fut l’égérie historique N°1 Marie Frange. C’est avec lui que tout a commencé chez moi, sur mon mur rose. » 

Exposition Marie Frange au festival Les Emancipée, à Vannes jusqu’au 27 mars 2022.