Pour « Nord », son premier disque, Laura Cahen avait habillé sa voix d’effets, comme on endosse un costume de scène ou de Superman. Pour « Une fille », l’artiste a eu envie de s’en affranchir et d’apparaître au monde telle qu’elle est ! En résulte un second album intimiste et universel d’une grande modernité. Aujourd’hui, elle n’a plus peur de s’afficher en femme homosexuelle et le chante avec subtilité. De « La jetée » à « Brume électrique », ce joyau est truffé de clins d’œil au 7ème art. Pour les retrouver notamment, nous sommes allés à sa rencontre.

Pour ce deuxième album, tu as choisi de t’affranchir d’effets sur ta voix et de te tourner vers Dan Levy de The Dø, pourquoi ?
Laura Cahen : « J’ai adoré tous les albums de The Dø, notamment le son très synthétique mais chaleureux de leur dernier, et aussi le travaille de Dan Levy sur le premier album de Jeanne Added. Je rêvais de travailler avec lui. Mon éditrice nous a mis en relation et la rencontre s’est bien passée [rires]. Nous avons débuté notre collaboration avec « La Complainte du soleil ». A ce moment là, il travaillait sur la B.O. du film « J’ai perdu mon corps » de Jérémy Clapin. Il a trouvé que la chanson serait parfaite pour le film. Du coup, elle le clôture et le film a été nommé aux Oscars et aux César. La collaboration a donc plutôt bien commencé, ça nous a donné envie de poursuivre et de faire cet album ensemble. « Nord » était très organique et épique. Il y avait beaucoup de réverbération dans la voix, ça lui donnait un côté lointain. Pour celui-ci, j’ai voulu prendre le contre pied, une production minimaliste et électronique, et me débarrasser de tout les effets sur ma voix. Dan Levy était l’homme de la situation ».
Dans cet album, tu as décidé de parler de manière très frontale mais sans provocation de ton homosexualité, notamment dans la chanson « Dans mon lit ». Cela a été facile ?
Laura Cahen : « Au moment d’écrire, je laisse venir les mots, mais le fait d’en parler bouillonnait en moi. Je ne l’avais jamais fait avant. Je mentais par omission, c’est la société qui m’y a poussé. Aujourd’hui, je trouve ça bête de me cacher. Maintenant, quand je parle de l’être aimé, je dis elle sans problème. Il y a toujours des gens qui se font tabasser pour leur orientation sexuelle. Sur les réseaux sociaux, on m’a écrit « On n’en a rien à foutre que tu sois avec une fille, parle nous d’autre chose ». Ce genre de propos prouve que l’homosexualité dérange toujours certaines personnes. Je reçois encore des remarques assez dures et négatives, mais globalement c’est vraiment l’inverse. Ça a été très difficile de dire à mes parents que je suis homosexuelle, même si ça s’est bien passé. A propos de la chanson « Dans mon lit », on m’a dit : « Nous sommes en 2021, ce texte était courageux dans les années 50, mais aujourd’hui, on s’en fou ! ». Je ne suis pas d’accord avec ça. C’est toujours difficile de dire à ses proches qu’on est homosexuel. Dans mon cas, personne ne m’a pas dit que j’avais le droit de le dire, je n’avais aucun repère auquel m’accrocher ».
De « La jetée » à « Brume électrique », ton album est truffé de clins d’œil au cinéma.
Laura Cahen : « Je suis très cinéphile même si j’ai des lacunes. Le cinéma m’inspire énormément, ça vient peut être de ma famille ou de ma petite amie qui travaille dans ce milieu. Je baigne dedans. J’avais envie de faire un jeu de piste. Il y a dans l’album des références au cinéma. J’aime bien m’inventer des histoires et ressentir des émotions fortes quand je vois un film. L’histoire d’amour perdue dans le temps de « La jetée » de Chris Marker (1962) me fascine, mais cette chanson éponyme est née à Saint-Pierre-et-Miquelon. J’étais perdue au milieu des éléments déchaînés. Au loin, il y avait cette jetée et ce phare. A ce moment là, en moi aussi c’était la tempête. Le refrain est né comme ça : « La jetée. La jetée. Le phare. Je m’y suis jetée un soir. Le vent si fort m’y poussait ». Avec ma petite amie Charlotte, qui est sur la pochette, nous avons écrit le reste de la chanson à Brighton, devant la jetée brûlée ».
Apparemment, ton film préféré est « La leçon de piano » de Jane Campion.
Laura Cahen : « Oui. « Portait de la jeune fille en feu » de Céline Sciamma (2019) et « La leçon de piano » de Jane Campion (1993) m’ont beaucoup inspiré. Jane Campion est la seule femme à avoir reçu la Palme d’Or. Ce n’est évidement pas pour ça que j’aime le film, mais ça mérite d’être souligné. J’ai été touché par cette femme muette qui s’exprime par la musique. Quand son mari lui coupe le doigt, mon cœur se transperce à chaque fois ».

Penses-tu avoir écrit un album féministe ?
Laura Cahen : « Oui, mais je crois surtout qu’il est humaniste. Je ne suis pas pour une société matriarcale, non plus ! Je suis pour l’égalité. Concernant les femmes, nous ne pouvons que constater qu’il y a un problème. Dans le milieu de la musique, les statistiques montrent qu’il y a très peu de femmes, c’est aberrant ! J’ai donc voulu mettre des femmes dans la lumière sur scène, dans les clips, à la régie, au son… Il faut donner des idées aux petites filles et leur montrer qu’elles peuvent le faire si elles le souhaitent. Ces métiers ne sont pas réservés aux hommes. Évidement, je n’ai pas mis de côté l’artistique pour prendre absolument des femmes, il fallait que ça colle et j’ai trouvé facilement ».

Une fille, le second album de Laura Cahen