Aurus : « Je soutiens les minorités mais surtout la diversité. »

Après la polyphonie transgressive des 3SomeSisters, Bastien Picot renaît en Aurus et revient avec « Chimera », un album hybride. A la manière de Björk, le musicien y mixe des sons endémiques de la Réunion, dont il est originaire, et des arrangements résolument contemporains. Le Maloya y côtoie l’électro, comme l’anglais, le créole. Investi dans le mouvement LGBT, il s’interroge aussi sur le côté bestial de l’homme 2.0. Un beau programme que nous avons voulu décortiquer avec lui.

Aurus ©B. Gaboriaud

Pour ce nouveau projet, tu as choisi un pseudo, Aurus. Comment t’es venue cette idée ?

Aurus : « J’ai toujours été fasciné par l’œil d’Horus et ce qu’il représente. Pour ce projet, je ne voulais pas utiliser mon vrai nom, Bastien Picot, afin de donner vie à toutes mes envies musicales et visuelles. Dans l’œil d’Horus, on trouve le pouvoir de voir au-delà du palpable, comme avec la musique. L’album s’intitule « Chimera », en lien aussi avec la chimère d’Horus. Tout est lié. »

Dans cet album, tu mixes des arrangements contemporains et des sonorités qu’on retrouve dans le Maloya, la musique traditionnelle de la Réunion. 

Aurus : « « Chimera » est un album hybride, aussi bien sur le fond que la forme. Dans mes chansons, les instruments traditionnels côtoient des arrangements électroniques, et je parle du fait que nous sommes tiraillés entre notre côté bestial et notre côté humain 2.0. »

Quels sont les instruments du Maloya qui te tiennent à cœur ?

Aurus : « Dans cet album, on entend le roulèr, un gros tambour qui donne un son très grave et à qui on prête le pouvoir d’amener les gens vers la transe. J’utilise aussi le kayamb, j’en joue sur scène. Il y a aussi le piker, un cylindre en bambou sur lequel on tape avec des baguettes, et enfin le sati, une feuille de tôle qui crée un son métallique. Au final, on a le bois, le métal, la rondeur et la peau animale. Je les utilise pour créer des sons typiquement Maloya ou pas. Dans « Cryo », le kayamb est à l’origine de l’afterbeat. L’idée était aussi de détourner ces instruments. « Chimera » est à la fois tribal et très pop moderne. Au niveau des sonorités, je prends plaisir, au sein d’un même morceau, à passer de l’anglais au créole. Je trouve que ces deux langues se répondent bien alors qu’elles n’ont pas de racines communes. »

Aurus ©B. Gaboriaud

Ta démarche musicale évoque celle de Björk sur « Homogenic » ou « Vespertine », elle y mixe, comme toi, des sons emblématiques de son île, l’Islande, et des arrangements très contemporains, voire expérimentaux.

Aurus : “J’admire son travail et sa liberté artistique. Elle s’affranchit des codes. J’aime beaucoup la façon dont elle mixe l’organique et l’électronique. Il y a aussi dans son travail une vraie symbiose entre la musique et le visuel, aussi bien dans ses clips que sur scène. Pour moi aussi, les deux sont intrinsèquement liés. »

Sur scène et dans tes clips, tu portes une coiffe en forme de soleil, peux-tu nous en parler ?

Aurus : “Cette coiffe est le fruit de pas mal de recherches. J’ai travaillé avec Lia Séval, une styliste qui crée aujourd’hui ses propres bijoux. J’avais déjà travaillé avec elle pour 3SomeSisters, mon précédent projet musical. Je lui avais envoyé un mood board avec plein d’inspirations visuelles, mais aussi la musique en lui expliquant le propos. Elle a fait la synthèse de tout cela et m’a proposé cet accessoire en adéquation avec mon univers musical. On trouve donc dans cette coiffe énormément de symboles. Ils n’ont pas tous vocation à être dévoilés. On peut y voir des éléments contradictoires comme une arme et des rayons de soleil, finalement comme dans ma musique aussi mélancolique que festive. » 

“KUHU” extrait de “Chimera”, le dernier album d’Aurus

Ton dernier clip s’intitule « KUHU », qu’est-ce que ça signifie ?

Aurus : «« Kuhu », c’est le diminutif de « Keep Ur Head Up ». Cette chanson dit qu’il faut garder la tête haute et refuser de se mettre dans un moule préconçu par notre société. Je soutiens les minorités mais surtout la diversité. Cette chanson est un cri de ralliement et une invitation à être soi-même sans concession. Dans ce titre, j’ai mis des samples d’animaux qui rugissent pour évoquer le domptage dont il faut s’affranchir. Ne nous laissons pas dompter ! Au-delà de la religion, de l’orientation sexuelle, de la couleur de peau, près de la moitié de la population est discriminée, je parle des femmes ! Dans cette chanson, j’invite les gens à sortir de l’ombre dans laquelle la norme les a poussés. En tant qu’artiste queer, c’est très important pour moi. Il y a donc dans ce clip des femmes trans, des gens non binaires, tout un panel de personnes que l’on veut cacher. Nous existons. Soyons en fiers ! Mais les mentalités évoluent. Par exemple cette année à la Réunion, la première Marche des Visibilités a eu lieu. 500 personnes étaient attendus, finalement nous étions plus de 1500, c’est historique. J’ai voulu faire ce clip ici avec ces personnes pour contribuer à ce mouvement. Je suis parrain d’une association LGBT, « OriZon ». Elle recueille les jeunes qui se font virer de chez eux ou qu’on essaie de désenvouter. »

Dans ce clip, tu incarnes La Piyonté. Nous la reverrons ?

Aurus : « A travers 3SomeSisters, nous questionnions déjà le genre, nous reprenions des tubes dance des 90’s en jazz et en se grimant avec des perruques et du make-up. Nous n’étions pas vraiment des drags car je ne maîtrise pas le contouring, mais je n’en suis pas à mon coup d’essai. J’ai déjà fait le show en robe et talons. La Piyonté est la suite logique de cette démarche. Pour lui donner vie, j’ai fait appel à un véritable maquilleur drag. Il m’a fait un make-up de dingue ! On y a passé quatre heures. Pour le coup, c’est du drag de haute voltige (rires). J’ai pris un énorme plaisir à incarner La Piyonté, elle reviendra sûrement. J’ai trouvé ce nom pendant le tournage du clip. A la Réunion, une pionte est une femme qui aime bien faire son intéressante. Le nom, La Piyonté, est une contraction de pionte et Beyoncé (rires). »

Chimera, le premier album d’Aurus