Dans Frink & Freud, Le Patient américain, l’auteur Pierre Péju et le dessinateur Lionel Richerand dressent le portrait saisissant d’Horace Frink, et à travers lui, celui d’une époque partagée entre le puritanisme de l’Amérique moderne et les mœurs débridées de la vieille Europe. Un ouvrage ludique et captivant truffé de clins d’œil à la peinture et surtout au cinéma.

Frink & Freud, Le Patient américain montre comment Freud souhaitait conquérir l’Amérique. Pour cela, la star de la psychanalyse a misé sur Frink Horace alors empêtré dans un choix cornélien. Maniaco-dépressif et marié à son amie d’enfance Doris Best, le jeune disciple tombe sous les charmes d’Angelica Biju, une bourgeoise séductrice déjà en couple. Pour raconter son histoire tourmentée et décrire le parfum d’une époque, Lionel Richerand a mis en place un casting hors-pair : Louise Brooks, Abraham Lincoln, Lillian Gish… Nous l’avons rencontré pour en parler.

Frink & Freud, Le Patient américain est finalement davantage consacré à Frink qu’à Freud. Il existe visiblement peu de photos d’Horace mais dans la BD son visage évoque parfois celui du Cri de Munch. Comment avez-vous travaillé pour le représenter ?
Lionel Richerand : « Horace Frink est aujourd’hui quasi inconnu. Il avait tout pour réussir mais il était maniaco-dépressif. Nous avons trouvé seulement quatre photos de lui sur lesquelles je me suis appuyé. Il était extrêmement tourmenté, mais je ne voulais pas créer un personnage trop inquiétant. Le physique d’Horace a beaucoup évolué au cours de sa vie. Il s’en est même amusé. Il a envoyé à Freud deux photos, une avant et une autre après la psychanalyse. Entre les deux, il avait perdu vingt kilos. Ce courrier était accompagné d’une lettre dans laquelle il demandait à Freud de regarder ce que la psychanalyse lui avait fait. Au début, il avait un côté Gatsby le Magnifique, mais sur la fin, il avait un visage ravagé. Pour le représenter, j’oscille entre un physique de clown blanc, à la Tintin avec un visage très lunaire, et le personnage du Cri de Munch. Mais finalement, Le Cri de Munch, c’est un Tintin avec les joues creusées ».

Le récit est traversé par une galerie de personnages forts qui prennent souvent les traits d’acteurs de cinéma. Pouvez-vous nous parler de ce casting très étonnant que seule la BD vous a permis de mettre en place ?
Lionel Richerand : « Pour les personnages célèbres, j’ai essayé de rester le plus fidèle. Horace était tiraillé entre deux femmes : Doris Best, son amie d’enfance, et Angelica Bijur. Nous n’avions aucune photo de l’une et de l’autre. L’action du récit se déroule environ entre 1900 et 1924. Je voulais leur donner une identité de femme forte. Lillian Gish, qui était pour moi l’actrice naturaliste par excellence de D. W. Griffith, pouvait incarner la douceur et le romantisme de Doris Best. Pour Angelica Bijur, je voulais une figure moderne qui pouvait traduire son côté débridé. La figure de la garçonne, incarnée par Louise Brooks dans Loulou, me paraissait parfaite. Avec ce casting, on peut facilement comprendre le dilemme d’Horace face à ces deux femmes. En réalité, Angelica Bijur n’avait pas le sex-appeal de Louise Brooks. C’est là où la fiction intervient ».

De Fantômas à Voyage au bout de l’enfer, l’album comporte quelques clins d’œil au cinéma.
Lionel Richerand : « J’adore le cinéma. Je pourrais passer ma vie à regarder des films. Cet album, c’est le parfum d’une époque, on y croise la poétesse Hilda Doolittle et le peintre Foujita. Mais c’est vrai qu’il est truffé de référence au cinéma de cette époque ou pas. La page 29 est un clin d’œil à l’affiche de Fantômas de Louis Feuillade. Les surréalistes d’André Breton ne juraient que par ce réalisateur. Sur la planche de l’album, Freud ne tient pas un couteau comme sur l’affiche mais son diplôme de la Clark University. C’est presque aussi dangereux [rires]. Le personnage d’Abraham Bijur est incarné par Eric Campbell, l’acteur ogre de Charlie Chaplin. Le Final de l’album évoque la mélancolie de Voyage au bout de l’enfer de Michael Cimino et notamment la scène où Robert de Niro vise un cerf mais ne le tue pas. De même, Horace se promène avec un fusil, il voit une biche mais ne la tue pas. Enfin, la demeure commune d’Angelica et d’Horace a une porte magnifique. Plus tard, on revoit cette même porte fermée. La maison est à vendre et les feuilles balayent le sol. Tout est dit en une image. C’est la dernière séquence de The Swimmer avec Burt Lancaster ».

Abraham Lincoln fait aussi une apparition remarquée.
Lionel Richerand : « Dans la biographie qui m’a servi, le grand-père d’Horace Frink était une figure tutélaire. Je lui ai donc donné les traits du Père de la Nation, à savoir Abraham Lincoln. Il fallait aussi qu’il fasse contraste avec le père d’Horace Frink à qui j’ai donné les traits de l’ingénieur Émile Mathis, fondateur de la marque automobile Mathis. En BD, certains personnages existent seulement sur deux, trois pages, il faut donc leur donner une présence très vite ».
Frink & Freud, Le Patient américain de Lionel Richerand et Pierre Péju – 215 pages – 22 € – Casterman