A l’Opéra de Paris : le mythique séducteur en série, Don Juan, se lance dans une chasse à l’homme dans les bois, faite d’amour et de sang, sous la houlette de Claus Guth. Etonnant !
Tout commence au ralenti, par un meurtre visible via un grand cercle évoquant un viseur. Le Commandeur tire sur Don Juan. Rideau ! S’ensuit une longue course poursuite à travers les bois et vers la mort. A l’Opéra de Paris, Claus Guth revisite le Don Giovanni de Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791) et Lorenzo Da Ponte (1749-1838). Présenté en 2008 au Festival de Salzbourg, sa version déjà culte investit pour la première fois une scène française. Le metteur en scène allemand en livre une tragédie singulière et moderne, particulièrement sombre.

L’intégralité se déroule la nuit, dans la forêt magnifiquement éclairée par la Lune. Dans ces sous-bois en perpétuelle rotation, des personnages se croisent : de jeunes mariés, des fêtards, des femmes délaissées… Au gré des rencontres et des flirts, Don Juan s’attire la foudre des maris et des amantes ambiguës. Telle une horde animale, ces derniers se lancent à sa poursuite pour laver leur honneur et étancher leur soif de vengeance. Grâce à ce décor magnifique, véritable personnage en soi, Claus Guth crée une spirale envoûtante, menant inéluctablement vers le drame.

L’apparition du Commandeur sous la neige, semblant réellement surgir des enfers, est particulièrement poétique et fascinante, à l’instar de la fin du premier acte : flamboyante et crépusculaire. Le reste manque un peu de relief et parfois de cohérence, Claus Guth n’en est pas fautif. Certains aspects un brin vieillots ont du mal à passer le cap de la modernité, notamment quand Don Juan et Leporello échangent leurs vestes pour se faire passer l’un pour l’autre. Initialement imaginé comme une farce, ce Don Giovanni tend brillamment vers la tragédie antique, mais du coup, quelques légèretés du livret passent moins bien. Sur le plan musical, rien à redire. Les subtilités et la puissance de la partition ont été savamment respectées, grâce à un casting hors pair. Pour le second, le choix judicieux du baryton-basse américain Kyle Ketelsen dans le rôle-titre mérite d’être souligné. Il fait ainsi ses débuts remarqués à l’Opéra de Paris. Au-delà de la performance vocale maîtrisée, le chanteur brun ténébreux au torse athlétique et au physique avantageux est enfin totalement convaincant en Don Juan, un détail qui a quand même son importance pour un séducteur à la sauvette !

Don Giovanni à l’Opéra de Paris jusqu’au 12 octobre 2023.