Interview. Sohrâb Chitan, danseur et chorégraphe : “Dans tous les cas, pour passer d’une technique à l’autre, il faut travailler. Je ne pense pas qu’une seule puisse te permettre d’être à l’aise partout”


Formé à l’École de Danse Rudra-Béjart à Lausanne et après avoir intégré la compagnie Alonzo King Lines Ballet à San Francisco, Sohrâb Chitan revient en France et crée sa propre compagnie en 2013, à Bordeaux. La troupe du jeune chorégraphe et danseur né en 1987 à Paris trouve au fil du temps son identité et attire vite les projecteurs en fusionnant énergie et sensualité. Le leader trouve l’inspiration dans la peinture ou la littérature comme dans « La Fin de journée », un poème issu des « Fleures du Mal » de Baudelaire. En 2021, suite à l’annulation d’une commande, une adaptation de « La Belle au Bois Dormant », il imagine pendant le troisième confinement et presque dans l’urgence « Deter », comme pour continuer à faire vivre le mouvement. 

Cie Sohrâb Chitan © Chistopher Barraja

Après avoir découvert cette pièce au Palais Galliera, nous avons eu l’occasion de le rencontrer, le temps de parler de « Deter », du film « En corps », de danse classique et contemporaine et de peinture.

« Deter », qu’est-ce que ça signifie, qu’est-ce que ça raconte ?

Sohrâb Chitan : « Quand j’ai créé la pièce, je n’avais pas de titre. Au départ, je voulais juste que, mes danseurs et moi, nous nous réunissions autour d’une musique électronique. Je l’ai imaginée pendant le troisième confinement, sans perspective d’avenir. J’ai choisi « Deter » pour « Déterminé » pour la détermination, pour le danser ensemble, pour le groupe. »

Deter – Cie Sohrâb Chitan

Comment est né ce projet ?

Sohrâb Chitan : « La musique a été composée un peu avant le confinement par François Pincedé, qui est aussi danseur, pour une commande qui a malheureusement été annulée à cause du Covid. C’était une adaptation de « La Belle au Bois Dormant ». Au lieu qu’elle se pique sur un fuseau, j’avais imaginé qu’elle se fasse piquer en boite de nuit, avant qu’on commence à parler de ce phénomène. Je me suis retrouvé avec cette musique et j’ai voulu l’exploiter quand même. On l’a rallongée et on a fait une vidéo-danse que le compositeur a lui-même réalisée. La vidéo a eu un bon écho, on m’a proposé d’en faire un spectacle. La vidéo dure 13 min, on en a fait un spectacle de 45 min. »

Cie Sohrâb Chitan © Chistopher Barraja

Nous avons eu l’occasion de voir « Deter » dans la cour du Palais Galliera, à Paris. Cette fois-ci, la pièce commençait sur des marches, mais cela ne doit pas être toujours le cas. Comment travailles-tu en fonction des lieux ?

Sohrâb Chitan : « J’adapte en fonction des lieux, parfois j’improvise sur place. Tout le début du spectacle est un temps pour lequel je m’autorise plus de liberté. Au Palais Galliera, on commence sur des marches qui heureusement sont assez larges. Le plus compliqué a été quand on a dansé sur du gravier car les appuis ne sont pas du tout les mêmes. En général, je repère un peu avant, ou la veille, et je vois tout cela avec les danseurs. »

Dans le film « En corps » de Cédric Klapisch, en résumé et pour simplifier, il est dit que la danse classique est aérienne et la danse contemporaine terrienne, es-tu d’accord avec cette idée ?

Sohrâb Chitan : « Non, pas forcément ! En classique, on nous demande effectivement d’être léger. Mais pour réaliser un échappé, il faut bien s’ancrer dans le sol avant. Dans le néo-classique, on a un peu des deux formations. On peut donc autant donner de la légèreté qu’une certaine « lourdeur ». »

Selon toi, est-ce qu’il est facile de passer du classique au contemporain ?

Sohrâb Chitan : « Ça dépend vraiment des danseurs. Pour un danseur classique, le lâcher prise peut ne pas être évident. Il y a aujourd’hui tellement de techniques, de danses et de chorégraphes ! Tout est accessible mais ça demande du travail. Si tu veux passer du classique à Hofesh Shechter, il faut travailler, car ses chorégraphies nécessitent une technique bien particulière. Dans tous les cas, pour passer d’une technique à l’autre, il faut travailler. Je ne pense pas qu’une seule puisse te permettre d’être à l’aise partout. »

Fin de Journée – Cie Sohrâb Chitan

La danse classique est très écrite, y a-t-il plus de place à l’improvisation dans la danse contemporaine ?

Sohrâb Chitan : « Ça dépend des projets. Au début de « Deter », je laisse les danseurs improviser leur solo avec des intentions bien particulières et en fonction de leur niveau. Mais toute la partie où nous sommes ensemble, il y a vraiment très peu de place à l’improvisation. Je leur laisse un peu de liberté sur l’expression, mais je rééquilibre ensuite. Pendant le second confinement, j’ai créé « Fin de journée », une autre pièce très écrite mais qui laisse part à l’improvisation. Une des danseuses a un solo écrit mais dans lequel il y a des temps qu’elle peut étirer pour qu’elle puisse développer ce qui est déjà écrit. Je lui laisse cette liberté. Il y a un musicien live, ils se regardent, s’écoutent. Il s’agit plus de temps de liberté que d’improvisation, je dirais ! »

Pour les costumes, comment travailles-tu ?

Sohrâb Chitan : « Ça dépend des projets. Pour la prochaine pièce, j’ai une idée bien précise de ce que je veux comme type de vêtements : des pièces sexy et proches du corps, des matières légères ou lourdes. Pour « Deter », je voulais des pièces oversizes et organiques, un peu brutes. »

Cie Sohrâb Chitan © David Bert

Sur ton Instagram @sohrabchitan, tu postes pas mal de peintures, c’est un art qui t’inspire ?

Sohrâb Chitan : « Oui énormément. J’y pioche des poses, des intentions, des couleurs. J’évolue à travers tout cela. Je me suis beaucoup inspiré d’Egon Schiele, de ce côté très torturé, très sec. Le chorégraphe allemand Marco Geoke est aussi dans ce registre là. »

Quelle est la scène sur laquelle tu rêves de te produire ?

Sohrâb Chitan : « Sans aucun doute : le Théâtre National de Chaillot. »

Quels sont les chorégraphes qui t’ont le plus inspiré ?  

Sohrâb Chitan : « Pina Bausch évidemment, Rudolf Noureev aussi car il a su mettre en avant les hommes dans la danse, et par respect Béjart, c’est un peu daté mais il a marqué toute une époque. »