INTERVIEW sur Vivian Maier. Anne Morin, commissaire d’expositions : « Cet univers de l’enfance, dans lequel elle baignait, lui a permis de regarder le monde tel que les enfants le font, c’est-à-dire en le découvrant »

Génie de la photographie de rue, Vivian Maier n’a jamais rencontré le succès de son vivant, et pour cause, sa démarche était pour elle purement récréative. L’histoire en aura voulu autrement, l’artiste investit aujourd’hui le Musée du Luxembourg le temps d’une large exposition éponyme qui va au-delà de ses fameux autoportraits.

A gauche : Vivian Maier – Chicago, années 1960 tirage argentique, 2014. A droite : Vivian Maier – Chicago, 1956 tirage argentique, 2014 © Estate of Vivian Maier, Courtesy of Maloof Collection and Howard Greenberg Gallery, NY. A droite :

Vivian Maier est aujourd’hui célèbre pour ses autoportraits mais le Musée du Luxembourg a eu la bonne idée de dévoiler toute l’étendue de son travail et notamment ses films super 8 et 16mm jamais montrés. Pour en savoir plus sur cette artiste de moins en moins mystérieuse nous sommes allés à la rencontre d’Anne Morin, commissaire d’expositions et directrice de diChroma photography.

Comment Vivian Maier est-elle tombée dans la photographie ?

Anne Morin, commissaire d’expositions et directrice de diChroma photography : « Les premières photos de Vivian Maier datent de 48/49, elles ont été réalisées dans le Champsaur avec l’appareil de sa mère, un simple Kodak Brownie. En 1951, elle s’installe à New York, elle a 25 ans. Elle s’achète un Rolleiflex, un appareil nettement plus professionnel. Entre 1951 et 1993, elle a réalisé plus de 120 milles photographies et 300 films Super 8. Durant ces 42 ans, elle revient constamment aux mêmes thématiques. L’autoportrait est évidement récurrent. Elle se photographie régulièrement et réalise jusqu’à 60 autoportraits par an. En fait, il s’agit surtout d’auto-représentations. Elle ne s’intéresse pas au passage du temps ou au portrait physiologique. Elle se dit « je suis là, ici, dans cette temporalité, dans cette société qui ne m’accorde même pas une identité puisque je suis invisible ». »

Exposition Vivian Maier au Musée du Luxembourg © B. Gaboriaud

Elle a aussi réalisé beaucoup de portraits, mais des portraits qui lui ressemblent finalement.

Anne Morin, commissaire d’expositions et directrice de diChroma photography : « Les portraits qu’elle réalise dans les grandes villes américaines, comme New York et Chicago, sont ceux de gens qui lui ressemblent. Elle les voit parce qu’elle appartient à la même caste des oubliés de la société. Dans ces portraits, personne ne sourit. Ces gens ne tentent pas d’être autre chose que ce qu’ils sont, des pauvres. Mais ils ont tous en commun une certaine noblesse et une dignité, même s’ils sont exclus du rêve américain. Elle les photographie vêtus d’une manière élégante mais avec ce qu’ils ont. »

Elle est donc issue d’un milieu modeste ?

Anne Morin, commissaire d’expositions et directrice de diChroma photography : « Sa grand-mère était française et cuisinière dans les hautes sphères. Sa mère était tour à tour garde d’enfant et femme de ménage. Vivian Maier vient de la vallée du Champsaur, d’une famille d’agriculteurs qui a migré de l’autre côté de l’Atlantique pensant y trouver une vie meilleure. Elle a eu une éducation sommaire. A 12 ans, elle travaillait déjà dans une usine de poupée. » 

Exposition Vivian Maier au Musée du Luxembourg © B. Gaboriaud

Elle était nanny et elle a photographié ce qui l’entourait dont les enfants.

Anne Morin, commissaire d’expositions et directrice de diChroma photography : « oui, ils étaient les premiers acteurs de ses petites scènes. C’est aussi avec les enfants qu’elle gardait qu’elle a le plus vécu. Cet univers de l’enfance dans lequel elle baignait lui a permis de regarder le monde tel que les enfants le font, c’est à dire en le découvrant. »

Ces enfants, elle les a aussi filmés d’une façon unique.

Anne Morin, commissaire d’expositions et directrice de diChroma photography : « Alors que se profilent les années 60, elle est dans la famille Gunsburg, elle y est très heureuse. Elle a sa propre chambre. Elle joue beaucoup, avec les trois enfants notamment. C’est le bonheur et la liberté. Cette période correspond aussi au moment où elle incorpore le schème du cinéma dans la photographie et aussi à celui où elle commence à faire du cinéma avec son appareil photo. Elle induit cette étincelle de la photographie dans une temporalité qui est la durée. Elle a de ce fait une approche du film très singulière. Très souvent, elle commence par filmer une scène et au moment opportun, elle s’arrête et prend la photo. Elle est l’oeil corps, elle est ce qu’elle voit. » 

Exposition Vivian Maier au Musée du Luxembourg © B. Gaboriaud

Elle n’a jamais montré son travail. Comment est-elle devenue célèbre ?

Anne Morin, commissaire d’expositions et directrice de diChroma photography : « Elle vivait par procuration dans tous les sens du terme. Elle vivait chez les autres et s’occupait des autres, elle était au service des autres. Elle parlait peu de son travail. La photographie était pour elle une récréation, un espace de liberté et de création dans lequel elle pouvait exister tout simplement. En 2007, elle a 81 ans. Elle entrepose ses biens dans un garde meuble depuis quelques années, mais comme elle ne paye pas, ils sont mis aux enchères. John Maloof, qui habite juste en face, cherche justement des photographies du Chicago des années 50 pour illustrer un livre qu’il est en train de faire. Il achète un lot de photographies, puis d’autres plus tard. Mais ce jeune garçon mettra deux ans finalement avant de s’y intéresser vraiment et de découvrir son talent. Il mène une enquête et découvre que cette photographe était en fait une nanny. »

En 2009, John Maloof se penche enfin sur le travail de Vivian Maier, mais à ce moment là l’artiste est décédée depuis quelques mois. Il partage alors quelques photos sur les réseaux sociaux de l’époque. L’engouement est immédiat. Tout va très vite. En 2011, il organise la première exposition consacrée à l’œuvre de Vivian Maier au Chicago Cultural Center. Elle rencontre un immense succès dans le monde entier. L’artiste Vivian Maier est née.

Vivian Maier au Musée du Luxembourg jusqu’au 16 janvier 2022.
Informations pratiques : https://museeduluxembourg.fr/fr/agenda/evenement/vivian-maier

Le catalogue de l’exposition Vivian Maier
Nombre d’illustrations : 250 – Prix 40€