Interview. Jean Claracq : « Ce qui m’intéresse, c’est cet espace de liberté que la nuit peut être et notamment pour la communauté gay »

Empreintes de l’histoire de l’art, d’Instagram et d’une grande mélancolie, les peintures de Jean Claracq évoquent le papier photos glossy et la lumière homogène des écrans. Né à Bayonne en 1991 et diplômé de L’Ecole nationale supérieure des Beaux-Arts de Paris en 2017, l’artiste est devenu en quelques années une figure majeure de la scène contemporaine.

Jean Claracq – Exposition « We paint » au musée des Beaux-Arts de Paris © Benoit Gaboriaud

Peuplées généralement de jeunes hommes seuls, souvent à moitié dénudés et rappelant les modèles de Larry Clark, ses peintures de petits formats s’exposent aussi bien en galerie qu’au musée, notamment au Musée Eugène Delacroix lors de la dernière Fiac. Aujourd’hui, il dévoile deux œuvres dans l’exposition « We paint » aux Beaux-Arts de Paris et une de grand format, baptisée « Arcadia Club », dans l’exposition « Entre tes yeux et les images que j’y vois* (un choix sentimental) » à la Fondation Pernod Ricard. C’est lors du vernissage de cette dernière que nous l’avons rencontré. 

Jean Claracq – Exposition « Entre tes yeux et les images que j’y vois* (un choix sentimental) » au musée des Beaux-Arts de Paris © Benoit Gaboriaud

Dans ton œuvre, on trouve beaucoup de références à l’histoire de l’art, c’est encore le cas dans ce tableau « Arcadia Club ».

Jean Claracq : « Ce qui m’intéresse, c’est cet espace de liberté que la nuit peut être et notamment pour la communauté gay. Pour ce tableau « Arcadia Club », je me suis inspiré d’une œuvre de Jérôme Bosch « Le portement de Croix ». La Croix est devenue deux barres de pole dance. L’Arcadie est un Paradis terrestre. Dans les tableaux de Nicolas Poussin dont « Le Printemps ou Le Paradis terrestre », il y a cette idée que la mort est présente dans le Paradis terrestre. Dans mon tableau, il y a aussi une forme d’ambiguïté. Certes, c’est un espace de liberté mais avec la présence de drogues. En haut à gauche, il y a une petite scène, comme une percée dans l’espace plat, qui fait référence à l’école de Fontainebleau. Elle évoque une consommation de MDMA ».

Jean Claracq – Exposition « Entre tes yeux et les images que j’y vois* (un choix sentimental) » au musée des Beaux-Arts de Paris © Benoit Gaboriaud

Le personnage central est dans la lumière, il se démarque des autres, pourquoi ?

Jean Claracq : « En fait, ce personnage reprend la position du Christ dans le tableau de Jérôme Bosch. Son pull est bleu, c’est du lapis-lazuli, la couleur de la Vierge Marie. Généralement, je ne représente pas de foule mais ici c’est une foule dans laquelle les jeunes semblent seuls. Il s’en dégage de la mélancolie. Ce personnage est solaire mais a sa part d’ombre ». 

De qui t’inspires-tu pour créer tes personnages ?

Jean Claracq : « Je trouve des photos sur internet, généralement sur Instagram, mais pas que. Ici, je me suis inspiré de photos de journalistes sportifs notamment mais je ne représente jamais les gens de mon entourage ».

Techniquement, comment as-tu travaillé ?

Jean Claracq : « C’est de la peinture à l’huile sur chêne massif. Le panneau est préparé d’une façon traditionnelle, c’est tout un travail, assez long. J’ai mis deux ans et demi à le réaliser. Je l’ai commencé en 2019. J’ai appris plein de choses en le faisant. Si je devais le refaire aujourd’hui, je ne le referais pas du tout pareil. Le plus difficile a été d’inventer une lumière de nuit artificielle. A chaque fois que je modifiais une partie, je devais tout modifier. Ça a été assez laborieux. Finalement, j’aurais dû faire comme Nicolas Poussin. Quand il composait ses tableaux, il prenait de la pâte à modeler et modelait la scène, il travaillait la lumière de manière un peu physique. Au lieu de passer par des phases numériques de bricolage, j’aurais peut-être dû faire pareil ». 

Exposition « We paint » aux Beaux-Arts de Paris jusqu’au 24 avril 2022
Exposition « Entre tes yeux et les images que j’y vois* (un choix sentimental) » à la Fondation Pernod Ricard jusqu’au 11 juin 2022