Inclassable, Georg Baselitz a traversé le XXe siècle à contre-courant. Son cheminement étonnant et singulier le mène aujourd’hui au Centre Pompidou. Le musée lui consacre une rétrospective monumentale, la première en France. Élaborée avec la complicité de l’artiste, la scénographie retrace toute sa carrière marquée par le nazisme. Ses œuvres les plus emblématiques et qui résument le mieux ses intentions sont ses figures inversées. Pour les comprendre, nous sommes allés à la rencontre de Pamela Sticht, commissaire de « Baselitz – La rétrospective ».

Les figures inversées de Georg Baselitz ont marqué son œuvre, en quoi en sont-elles emblématiques ?
Pamela Sticht : « Baselitz aime la provocation, il est profondément anti-autoritaire. Très tôt, il déconstruit le motif et change constamment de sens. Je m’explique. Il vient de l’Est où est implanté le réalisme socialiste. Il sait donc peindre parfaitement et de manière réaliste, mais il comprend très vite que ce qu’il veut représenter lui est interdit. Il traverse donc la frontière et se déclare réfugié de la RDA à Berlin Ouest. C’est à ce moment-là qu’il découvre l’avant-garde et qu’il prend conscience de son rôle de marginal. Il découvre donc l’art abstrait mais sa démarche artistique va encore une fois et volontairement à contre-courant des tendances, à l’envers de ce qu’il se fait. »

Pamela Sticht : « Quand il commence à aller à la campagne pour faire ses essais de motifs déconstruits, il s’inspire du maniérisme du XVe siècle. En 1965, il obtient une bourse pour l’étudier. Dans le maniérisme, les artistes jouent avec l’image. Dans certaines représentations médiévales, Saint-Pierre apparaît pendu. Le sens est déjà changé. Il ne veut plus peindre de motifs réalistes par crainte d’être associé au réalisme socialiste de le RDA. D’un autre côté, l’art contemporain célèbre la mort de la peinture, puis d’un autre le photo-réalisme arrive en Europe. Lui, il veut continuer à faire de la figuration et pas uniquement de l’abstraction. Il veut continuer à peindre mais n’être assimilé à aucun de ces styles. Il ne fera jamais ce qu’on attend de lui. Quand il se lance dans ses inversions, c’est un pied de nez à tout le monde. Il travaille à sa manière. Il ira jusqu’à aller à l’envers. D’où ces tableaux. Finalement, ils font le buzz. »

Pamela Sticht : « Il réalise ses premiers tableaux inversés à partir de 1969. La première série est une série de portraits, on en montre trois dans l’exposition. Dans cette série, il y a un portrait du commissaire de l’exposition qui lui a été consacrée en 1970. Cette exposition a eu lieu dans un grand immeuble à Cologne qui réunissait plusieurs galeries. Les plus grands industriels de l’époque qui étaient aussi les plus grands collectionneurs et mécènes se sont très vite intéressés à son travail. Peter Ludwig, qui a aujourd’hui plusieurs musées, a acheté ses œuvres les plus marquantes.
Il revendique du coup cette inversion comme une marque de fabrique pour créer ce qu’il appelle « La nouvelle image ». Il revendique le fait de ne pas avoir de style, il ne veut surtout pas être dans la routine. Il va tout le temps interroger nos habitudes et nos références. Dans ses œuvres, il y a très souvent des références à l’histoire de l’art. »

Mais avant même ces figures inversées, Georg Baselitz allait à contre-courant ?
Pamela Sticht : « Au début, il travaille avec une peinture très sale, avec laquelle il évacue toute sa haine qu’il a vis à vis de cette société. Il racle la peinture dans ses ateliers pour obtenir cette matière. A ce moment-là, c’est l’âge d’or du Pop Art. Sa démarche est relativement incomprise alors qu’il faut la voir comme une critique du nazisme. Il faut rappeler qu’il est né en 1938 sous le nazisme. Son père était professeur et directeur d’une petite école dans un village. Il est réquisitionné par l’armée pour faire la guerre. Ils vivaient au bord d’un chemin qui conduisait vers le front de l’Est. L’école dans laquelle il vivait est réquisitionnée et transformée en base militaire. Il vit à cette époque au rythme des militaires. Il a donc vu la guerre de très près. A l’âge de 7 ans, il voit de ses propres yeux l’anéantissement de Dresde qui se trouve seulement à 30 km de chez lui. Une fois la guerre terminée, tous les gens qui reviennent du front de l’Est passent devant lui. Toutes ces images, il ne peut pas les oublier. »
« Baselitz – La rétrospective » au Centre Pompidou jusqu’au 7 mars 2022
Informations pratiques : http://www.centrepompidou.fr











